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Karl Marx 2.0

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« Le Web 2.0 est la seule révolution marxiste qui ait jamais fonctionné ».

Ainsi débute l’allocution qu’Éric Scherer – directeur de la prospective et des nouveaux médias chez France Télévisions – livre à ceux qui cherchent à comprendre comment l’univers de l’information est en train de subir l’une des pire crises de son histoire depuis Gutenberg [une version Storify est aussi disponible]. Ainsi, avec la démocratisation de moyens de production de l’information, « tout le monde devient un média ». Cela fait rire, choque peut-être les plus fervents communistes, mais dans les faits, force est d’admettre que le Web tel qu’il s’immisce actuellement dans nos vies fait de cet outil initialement anodin un véhicule capable à lui seul de provoquer un véritable changement de paradigme. Une nouvelle vision cohérente du monde.

En termes de théorie économique, on dira que les barrières à l’entrée se sont effondrées. « Ouvrir un journal ne nécessite plus d’imprimerie, ni de camions. Un blog peut être ouvert immédiatement en ligne. Vous êtes tous en mesure d’ouvrir une station de radio » nous dit Scherer. En mai 2011, le « Huffington Post« , pure player de l’information internet, dépassait le site du New York Times en termes d’achalandage. Le site a été lancé le 9 mai 2005 avec un capital de départ d’un million de dollars.

En toile de fond de cette visite d’Éric Scherer, la publication récente (mai 2011) de l’ouvrage « A-t-on encore besoin des journalistes? Manifeste pour un ‘journalisme augmenté’« , que l’auteur se charge de résumer et « d’augmenter », justement, par ses allocutions. Son constat : avec l’internet dit participatif et la pénétration grandissante des réseaux sociaux, le monde médiatique se trouve bouleversé. Plus exactement, les médias vivent un véritable renversement des valeurs, victimes d’une « idéologie décadente » qui n’a pas su s’adapter. En effet, pour la première fois de l’histoire, la génération montante ne suivra pas les habitudes de consommation médiatiques de ses parents ; à l’inverse, ces derniers se trouvent obligés de glisser vers des interfaces dont leurs enfants maîtrisent les codes et les langages beaucoup mieux qu’eux : Facebook, Twitter, Tumblr, Instagram, LinkedIn.

Comme au temps de Gutenberg, les moines copistes d’aujourd’hui travaillent dans des rédactions traditionnelles ; ils portent désormais la cravate et le veston, mais cherchent tout autant à minimiser l’importance de la transformation en cours. À la diaboliser en remettant en cause la légitimité de ses fondements. Mais la presse est lancée et ne s’atermoie pas sur ces considérations morales. Ainsi les journalistes, comme leurs confrères du monde académique (qui accuse lui aussi un retard préoccupant quant à ces questions), hésitent. Face à une lame de fond qui risque de tout balayer sur son passage, le raz-de-marrée approche et les plaisanciers continuent la promenade sur la plage. Comme le dit l’écrivain Erik Orsenna, ils occupent pourtant « des métiers de vigilants au moment où le monde change ». Mais ils ne voient pas, ou plutôt refusent de voir, de saisir l’opportunité.

Les implications de ce renversement sont nombreuses, particulièrement pour une « industrie » qui avait jusqu’à tout récemment ses habitudes, ses entrées, son confort. « C’est embêtant pour un média d’être désintermédié », dit Scherer, « car le rôle traditionnel du média est précisément de servir d’intermédiaire ». Ce discours est brûlant d’actualité ; en effet, le Web est en train de réussir ce que plus d’un siècle de soulèvements violents et d’atteintes à la propriété tangible n’ont pas réussi à faire : soutirer aux élites politiques et économiques le pouvoir de dicter les enjeux, de sélectionner les contenus, de manipuler les consciences.

Conséquence de cette appropriation généralisée des moyens de production, « la concurrence ne vient plus des concurrents » : tout le monde est un concurrent. Cherchant à éviter de sombrer dans ce piège infernal où s’est engouffrée l’industrie de la musique – criminalisant, craignant et méprisant son auditoire – les médias semblent en voie de s’adapter, de changer. La révolution est en cours et, avec elle, des moments démocratiques euphoriques se succèdent. Un jour peut-être, tous les candidats seront des Barack Obama en puissance ; ils donneront à tous la possibilité de « participer à quelque chose », avec à la clé des mécanismes de rétroaction, de focalisation, de localisation.

À la démocratisation de l’écriture permise par Gutenberg succède la démocratisation de la publication. Ce changement porte la promesse de remettre entre les mains de tous les possibilités d’innovation et de création jadis réservées à des élites économiques, académiques et culturelles. Il faut accepter ce mouvement comme un pas dans la bonne direction. Cela implique toutefois que nous posions les bonnes questions, celle de l’autorité, de la gouvernance, du politique. Ainsi le Web cessera d’être considéré comme un épiphénomène. Et Karl Marx pourra enfin dormir en paix.


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